Michel BRAEKMAN — Conservation-Restauration d'objets d'art

MB

Michel BRAEKMAN

Conservateur-restaurateur

Armes anciennes et objets mécaniques

Collection Rubin

Collection de munitions du major Rudolf Rubin.

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MANDAT : Nettoyage, traitement des corrosions, protection.

Conservation-restauration de la collection de munitions du colonel Rubin

RAPPORT DE TRAITEMENT

1. Introduction

Le Musée de l’armée suisse à Thoune m’a confié la conservation-restauration de la collection de munitions du colonel Edouard Alexandre Rubin. J’ai commencé ce travail lors de ma troisième année d’études de Conservation-restauration en objets scientifiques, techniques et horlogers à la Haute Ecole de Conservation-restauration Arc à Chaux-de-Fonds. J’ai terminé cet important travail dans mon atelier privé.

2. Approche historique

Le colonel Rubin (1846-1920) a fait beaucoup de recherches sur l’efficacité des munitions de petit calibre. Avec son collègue, le colonel Rodolphe Schmidt, ils mettront au point en 1889 la première arme à feu d’épaule à répétition et à chargeur vertical adopté par l’armée suisse : le Schmidt-Rubin chargé avec la cartouche 7.5 mm. Ce fusil sera modifié en 1911, adoptant la cartouche avec balle bi-ogivale pointue (GP11) puis enfin en 1931. Les recherches du colonel Rubin sur le calibre 5.8 mm préfigurent le nouveau calibre qui entrera en vigueur avec le Fass 90, la cartouche GP90 de calibre 5.6 mm, comparable au calibre 5.56 mm adopté par l’OTAN

3.1. Présentation de la collection

A. Tableau des munitions fédérales suisses pour fusils et carabines entre 1817 et 1911 : du silex à la GP11.

Cette collection retrace de façon illustrative et évolutive les recherches du colonel Rubin. On peut y trouver les munitions des différentes armes à feu d’épaule adoptées par l’armée suisse depuis la première ordonnance fédérale de 1817, avec mise à feu à silex jusqu’à l’adoption de la GP11.
Cette évolution passe par les Modèles 1842, 1859 et 1867 en calibre 18 mm (systèmes Prélaz-Burnand et Milbank-Amsler), puis les modèles 1856 et 1863 en calibre 10 mm, ensuite le calibre 10.4 pour les fusils 1867 et 1878 (système Peabody et Vetterli) et enfin le calibre 7.5 mm.

avant restauration

après restauration

Vitrine en bois renfermant un ensemble de munitions fédérales pour armes à feu d’épaule entre 1842 et 1911,
les conditionnements des munitions correspondantes et deux canons sciés de calibre 10,4 mm et 7,5 mm.

vue d'ensemble de la vitrine avant restauration

vue d'ensemble de la vitrine après restauration

B. Tableau de munitions officielles des fusils à chargement par la culasse étrangers et suisses entre 1841 et 1894.

Les munitions mises au point par les autres pays figurent aussi en commençant par le fusil à aiguille Dreyse de 1841 jusqu’à la carabine Winchester de 1894, en passant par les fusils Chassepot, Gras et Lebel, les Mauser, Mannlicher, Martiny-Henry, Lee-Metford et Carcano.s

avant restauration

après restauration

C. Tableau de munitions d’essai suisses entre 1888 et 1898 expérimentées par le colonel Édouard Alexandre Rubin.

Enfin, on trouve dans cette collection les différentes munitions d’essai réalisées par le colonel Rubin en calibre 5.8 mm.

avant restauration

après restauration

D. Panneau décrivant les étapes de réalisation d’un étui et d’une balle calibre 7,5 mm (1890).

avant restauration

après restauration

3.2. Correspondance des munitions

Ces munitions correspondent aux armes suivantes :

Tableau A et vitrine :

1817 : Fusil modèle 1817 (silex)
1842 : Fusil 1817 transformé 1842 ; Fusil modèle 1842 (percussion)
1859 : Fusil modèle 1842 adapté en 1859 au système Prélaz-Burnand (percussion)
1867 : Fusil modèle 1859 transformé au système Milbank-Amsler en 1867 (chargement par la culasse, cartouche métallique)
1856 : Fusil de chasseur modèle 1856 (petit calibre)
1863 : Fusil d’infanterie modèle 1863 (petit calibre)
1867 : Fusil Peabody modèle 1867 (petit calibre, cartouche métallique)
1878 : Fusil à répétition Vetterli modèle 1878
1890/03 : Fusil à magasin Schmidt-Rubin modèle 1889 (7.5 mm)
1911 : Fusil et mousqueton Schmidt-Rubin K11, modèle 1911

Tableau B :

Prusse 1841 : Fusil Dreyse à aiguille
France 1866 : Fusil Chassepot à aiguille
Suisse 1867 : Fusil Peabody (cartouche métallique)
Allemagne 1871 : Fusil Mauser 1871
Angleterre 1871 : Fusil Martiny-Henri
France 1874 : Fusil Gras
France 1886 : Fusil Lebel
Espagne 1886 : Fusil Kropatschek
Allemagne 1888 : Fusil Mauser 1888
Autriche 1888/93 : Fusil Mannlicher
Angleterre 1889 : Fusil Lee-Metford
Suisse 1889 : Fusil à répétition Vetterli
Italie 1894 : Fusil Carcano
États-Unis 1894 : Carabine Winchester

3.3. Constitution des matériaux

Cet ensemble est composé des matériaux suivants :
I. Matériaux inorganiques composés de fer, acier, cuivre, zinc, plomb, antimoine, nickel, silice.
II. Matériaux organiques tels que : bois, papiers, cartons, velours, cordes, adhésifs et vernis organiques.
III. Divers matériaux composés des éléments tels que carbone, soufre, nitrate, mercure, potassium, chlorate, cellulose, cire, graisse, pigment.

4. Constat d'état et diagnostic

A. Etat général

Cette collection a été conservée dans un milieu au taux d’humidité relative élevé. On peut observer un grand nombre de dégradations : présence de restes d’insectes, couches de crasse séchée et solidifiée, traces de coups et d’enfoncements, traces d’empreintes digitales, taches et colorations sur les cartouches papier, carton craquelé, piqûres de corrosion, décoloration des cordelettes.

Dégradation du tissu en velours sous les produits de corrosion.

Dans l’ensemble, les métaux sont ternes, recouverts de piqûres et de taches. La corrosion des métaux a entraîné une dégradation des tissus en velours et des cordelettes d’attache. Certaines fioles en verre contenant des échantillons de poudre sont cassées. La vitre de la vitrine est brisée.

B. Identification de la corrosion des métaux.

Le problème le plus important concerne la corrosion des métaux. Les cuivreux présentent soit une passivation de surface, soit une corrosion active reconnaissable à la couleur vert vif. Les objets en plomb présentent une couche de corrosion blanchâtre et parfois pulvérulente. Sur certains objets en plomb, on observe un précipité blanc insoluble.

Eclaté de la cartouche 1842 suisse dans la vitrine en chêne. Au centre le produit de corrosion du plomb.

Cartouche d'essai Modèle 1898 : la fiole en verre brisée contenant de la balistite et le produit de corrosion vert vif du laiton.

L’identification de ces produits de corrosion permet de comprendre les processus de dégradation et de proposer des traitements de conservation-restauration adaptés et efficaces.
Les premiers tests en laboratoire m’ont permis de m’assurer de la présence d’oxydes métalliques (plomb et cuivre). Ensuite, le passage dans le microscope électronique à balayage de l’école d’ingénieurs m’a permis de constater la cristallisation de ces oxydes.
Enfin, ces produits de corrosion ont été analysés par la méthode de diffraction aux rayons X du laboratoire de l’Université de Neuchâtel. Cette analyse permet de déterminer la nature exacte des cristaux par identification des longueurs intramoléculaires.
L’obtention de la composition exacte de ces cristaux permet de formuler des hypothèses sérieuses sur la cause de leur formation :
Ainsi, la vitrine en chêne a dégagé de l’acide acétique en milieu hermétique et confiné qui a conduit, par une double réaction d’oxydoréduction, à la formation de cristaux de carbonate et hydroxyde de plomb, appelé communément hydrocérusite ou blanc de plomb. Cette réaction est autoalimentée par le substrat lui-même.
De son côté, la poudre verte recouvrant les douilles en laiton est un hydroxyde et nitrate de cuivre (II), appelé rouaite, causé par l’exsudation de l’acide nitrique contenu dans la nitrocellulose, la poudre sans fumée inventée par l’ingénieur Paul Vieille en 1884.

C. Récapitulatif des altérations.

Anthropiques :

Tableaux sur carton :
1. Griffures et écrasement
2. Rupture des cordelettes

Vitrine :
3. Coups et griffures
4. Réparation
5. Vitre cassée
6. Conditionnements ouverts
7. Vernis éraflés

Liées à la constitution de l’objet :

Dès l’origine :
1. Empreintes digitales
2. Coulures de vernis

Au fil du temps :
3. Velours écrasés

Liées à la conservation de l’objet :

Ensemble de la collection :

1. Crasses et poussières
2. Infestation par les insectes
3. Processus de corrosion
4. Coloration des papiers et chemises

Vitrine :
5. Carton concave
6. Papiers des cartouches crevés
7. Dégradation du mastic de la vitre
8. Dégradation des velours
9. Dégradation des vernis

Tableaux sur carton :
10. Gonflement des cartons
11. Décoloration des velours
12. Corrosion verte sous les cordelettes
13. Fioles cassées ou vides
14. Cire cassée sur les fioles
15. Sabot de carton craquelé
16. Décoloration des cordelettes

5. Traitement

Après avoir effectué les tests nécessaires et après discussion avec le propriétaire, les propositions de traitement suivantes ont été réalisées :

A. Démontage et nettoyage.

L’ensemble de la collection a été dépoussiéré par micro aspiration filtrée.
Les feuilles collées au dos des tableaux ont été retirées en solubilisant l’adhésif organique.
Les supports des cartouches ont été séparés des cartons en solubilisant l’adhésif organique et les cordelettes ont été retirées.

Dépose des cartons par solubilisation de l'adhésif organique.

Les quatre tissus en velours fortement dégradés ont été remplacés par des neufs, conformes à l’original.
Les produits de corrosion des objets métalliques ont été complexés par l’acide éthylènediamine tetraacétique, puis neutralisés à l’eau déminéralisée et rincés à l’acétone. L’aspect des surfaces a été homogénéisé au touret à polir. Le bois de la vitrine a été nettoyé avec un surfactant.
Les coins des panneaux ont été remis en forme sous presse.

B. Protection.

Les surfaces métalliques, les fioles et les tableaux ont été recouverts d’un revêtement bicouche à base de cire microcristalline et lustrées. Cette dernière opération permet une protection hydrofuge et hermétique et donne un aspect brillant.

Protection des surfaces métalliques à la cire microcristalline.

C. Remontage.

Les cartouches, balles et douilles ont été remontées sur les cartons avec de nouvelles cordelettes en coton, conformes à l’original.

Remontage des munitions sur les cartons.

Les munitions en papier trop dégradées ont été remplacées par des exemplaires de la collection du Musée suisse de l’armée.
Les cartons ont été fixés sur les tableaux avec le même adhésif organique.

Fixage des cartons à l'adhésif organique et mise sous presse.

Les fioles ont été recollées avec un adhésif pour verre.
La vitre brisée a été remplacée par une nouvelle. Pour éviter un apport d’humidité relative, le mastic n’a pas été remplacé.
Les conditionnements de munitions ont été refermés à l’aide d’un adhésif organique.

6. Conclusion

Vu son importance historique, cette collection de 330 pièces nécessitait une étude approfondie et des traitements de conservation-restauration. Après l’observation visuelle, la détermination exacte par des méthodes scientifiques a permis de reconstituer les causes et les processus de dégradation. Cette recherche m’a permis de proposer des traitements de conservation-restauration appropriés et garantissant une excellente conservation dans le temps, pour autant que les recommandations de conservation et d’exposition soient suivies fidèlement.

La collection complète conservée et restaurée

Les recherches, les observations, les tests, les analyses et l’élaboration des propositions de traitement ont demandé 360 heures de travail. Les travaux de conservation-restauration ont nécessité près de 200 heures de travail. Quant à la rédaction du rapport de traitement de 200 pages dont cet article est un rapide résumé, il nous a occupé pendant plus de 240 heures.